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Paracosmos - Chapitre 0 
Des pensées d'une femme

Complètement paumée.

C'est comme ça que je me sentais. Comme un cheveu dans la soupe, une virgule mal placée, un commentaire hors sujet ou encore une pluie, un jour chaud de juillet.

Vous savez ce sentiment d'être passé complètement à côté de quelque chose de pourtant crucial et d'avoir bâti l'entièreté d'un raisonnement sur une fausse idée, un faux semblant, une putain d'erreur.

Ça me rassurerait s'il s'agissait d'une théorie fumeuse et sans réelle implication ou encore d'une bêtise dont on se sort facilement. Mais quand on se trompe sur le sens de la vie -ou pour être plus modeste, de sa vie- et qu'on s'en rend compte une fois adulte, il y a de quoi se taper la tête dans le mur.

J'ai toujours pensé qu'on pouvait avoir une réelle place dans ce monde, le rendre meilleur, réaliser de grandes choses et tous, être heureux. Arrêter la guerre et la famine, éradiquer la Maladie et la Maltraitance, rendre Meilleur l'être humain. Bon sang, ce que j'étais naïve.

Avec des idées pareilles et un sens de la négation de soi au-delà du réalisme, je me suis retrouvée seule, à regarder les passagers de la gare centrale dévaler ces grands escaliers et à repenser le Monde comme la gamine de quinze ans que j'avais autrefois été. Pensez-vous que ces réflexions soient chroniques ou qu'elles constituent la désillusion largement répandue parmi notre espèce, expliquant notre égoïsme effarant à se satisfaire d'une vie rondement menée ; carrière, mariage, courses et vacances au soleil, au détriment des autres, des autres humains mais également au détriment du non-humain, de la nature, des animaux ?

Je vous dis ça, je dois paraître bête devant vous. Mais, vraiment, je ne sais pas.

Et au fond, qui pourrait bien savoir ?

 

Gare de Bruxelles-Central, 15h19 un mercredi chaleureux du mois de Septembre.

Un brouhaha continu de voyageurs effrénés se dirigeant, non sans mal pour certains, vers le quai de leurs destinations.

Vieux, jeunes, grands, petits, avec ou sans valises, tantôt extravagantes et colorées, tantôt fades et tristes. Des hommes en uniformes, des femmes avec leurs enfants ou l'inverse, des couples, des personnes seules, des caucasiens, des non-caucasiens, arborant une mine enjouée ou catastrophée.

J'étais assise tranquillement à la terrasse d'un café, regardant le monde – ou du moins ce que je me représentais de notre société- défiler sous mes yeux.
Une frénésie contrôlée sur le rythme des sons jazz qui bourdonnaient dans mes oreilles, émanant d'un haut-parleur pas très loin.

Notre humanité est là, sous mes yeux curieux, à se débattre, à se démêler les cheveux trop longs, à porter une valise bien trop chargée, à porter son enfant trop lent ou encore à refuser l'aumône.

Partout des hommes, des femmes, des enfants qui ne se regardent et ne communiquent pas ou peu.

C'était pourtant là l'occasion d'un grand brainstorming multiculturel, multi-imaginaire, multi-possible. Étions-nous devenus à ce point inadaptés à l'autre ? Une société de grand nombre valait elle la solitude de masse alors que des centaines de personnes grouillaient devant moi ?

 

On en croise des gens, à gare centrale aux environs de 15h.
Un Monsieur au pull blanc qui court dans les escaliers de la station, un jeune homme en costume qui mange son sandwich un peu tard- sûrement coincé dans une réunion d'entreprise où on ne sert pas de nourriture, crise oblige- ou encore cette fille frêle qui hésite à manger sa pomme, semblant cherche le nombre de calories que pourrait représenter cet aliment.

 

C'est drôle quand on y pense... L'humanité.

En fait, la réflexion qui me vint fût celle-ci : on a échoué.

Échoué dans nos rôles de citoyens, dans nos rôles d'idéalistes, dans nos rôles d'humanistes et d'êtres humains.  Échoué dans ce que nous devions réaliser, l'égalité, la liberté, l'éducation et la soif d'apprendre, la Paix ! Ne voyez-vous pas que nous avons déjà échoué dans ces rôles et qu'aucun sauvetage n'est possible ?

Et non, je ne suis ni dépressive ni au bord du suicide.

La bêtise de l'Homme a trop souvent pris le pas sur l'Empathie et la Dévotion envers le Partage et l’Humanisme. N'est-ce pas vrai ?

 

Mon café, et les airs jazz, je me suis prise à imaginer l'histoire différemment. Pas comme celles qu'on raconte dans les romans, non. L'histoire avec un grand H, vous savez ce qu'on fait tous à un moment ou à un autre en se sentant presque honteux de le faire, ceci se manifestant par le fait que nous n'en parlons à personne. Si nous avions agi différemment et pris en compte cet espèce d'immense échiquier que sont le monde et les relations interhumaines, internationales, interculturelles, que nous avions agi dans une logique altruiste dès le départ, connaîtrions-nous une issue différente ou le chemin était-il tout tracé ? Avions-nous réellement eu un pouvoir de décision et si oui, l'avons-nous toujours et sommes-nous en maître ?

Le destin existe-t-il ? À quoi bon se débattre si tout est tracé ? Je ne suis pas de ceux qui pensent que c'est le cas mais j'en étais arrivée au constat que désormais, tout n'irait que de pire en pire et que le moment, l'instant, l'encoche dans la ligne du temps qui marquait l'étape décisive pour nous sauver, les sauver, vous sauver était déjà passée. À partir de cet instant, devons-nous encore nous battre ? Quel en est le sens ?

 

Quand bien même nous avions réussi, nous ne sommes que de passage ; vous, moi, lui, elle, tout est de passage. Sur une échelle de plusieurs milliers, plusieurs millions d'années, qu'allait-il rester finalement ? Qu'adviendrait-il de nos combats, de nos erreurs, de nos joies, de nos avancées ou de nos défaites ? Qu'adviendrait-il de nous ? Qu'adviendrait-il de moi ?

Vous me croyez dans une phase triste, une déprime passagère, n'est-ce pas ? Vous pensez que j'exagère, que je vais chercher trop loin, que je dois être un peu négative sur les bords pour parler comme ça, qui ne le dirait pas ?

Pourtant, je ne me sens pas triste de ces constats, au contraire, ça devrait nous aider à relativiser sur notre existence et l'importance que nous accordons à certaines choses, futiles et passagères. Le paradoxe dans tout ça, c'est que nos combats pour le bien faisant partie des choses qui disparaîtront nécessairement, nous pourrions être tentés de nous dire que ce serait de l'énergie gâchée de les poursuivre sans relâche, d'essayer de toutes nos forces tout de même. Et pourtant, même si je vais disparaître et vous et la Terre avec moi, je persiste à croire que c'est la seule chose qui vaille la peine de vivre. Aussi temporaires pouvons-nous être. Aussi inutile le combat pourra-t-il être à la fin des temps. Aussi perdu d'avance puisse-t-il m’apparaître à l'instant.

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