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Paracosmos - Chapitre 1
Avant

Alexandre la sortit de ses pensées, il arborait son sourire des grands jours. Aujourd'hui, ils allaient recevoir les résultats de leurs postulations. Il était excité comme une puce, il avait postulé pour différentes spécialités mais il n'était encore sûr de rien tellement il aimait de disciplines différentes.

- Avec un peu de chance, lui dit-il, j'aurais la radiologie. Mais l'interview s'est pas déroulée aussi bien que pour l'anesthésiologie. Le type était vraiment renfrogné sur lui-même, il ne m'a quasiment pas regardé. J'avais pourtant mis du temps à me préparer, j'avais répété une dizaine de fois mon argumentation: bons résultats, je travaille dur, je suis motivé, j'avais même mis ma cravate porte-bonheur.

Alexandre était de ces garçons ultra-stressés en permanence par l'impression qu'il donnait aux gens, il voulait toujours paraître intelligent et ne surtout pas donner l'image de quelqu'un d'incertain. Il était pourtant un grand indécis et avait rendu cinq choix de postulations extrêmement différents tellement il avait du mal à se projeter dans l'avenir. À ce titre, il n'avait jamais été capable de décider les menus du souper plus de quatre jours à l'avance, c'est dire. Il quitta son amie quelques instants après ces cinq minutes intenses de monologue au sujet de son interview ratée pour aller chercher un café à l'intérieur.

Elle n'avait pas osé lui dire qu'elle n'avait postulé que dans une seule spécialité : la psychiatrie. Rien d'autre ne lui plaisait ou ne l'avait plus inspirée et, bien qu'elle était consciente de prendre un certain risque, elle avait confiance en ce choix. Elle croyait avoir laissé une bonne impression au tyrannique Maître de stage. Tyrannique, de ce que les gens disaient en tout cas. Ces avis lui semblaient exagérés; son entretien s'était bien déroulé si on faisait exception du regard questionnant qu'il avait posé sur sa chevelure. En effet, elle avait laissé une mèche rose dans son chignon et bien que celle-ci fût sur le côté et qu'elle avait essayé de la cacher par sa posture durant toute la durée de l'entretien, elle avait bien vu qu'il l'avait remarquée. Mais il ne fît aucune remarque alors elle considérait depuis cet incident comme totalement mineur et oubliable.

Son ami revint avec son café froid quelques minutes plus tard et deux cookies au chocolat blanc-dont un pour elle- pour la remercier d'avoir accouru à sa demande suite à une énième crise de doutes à propos de son petit-ami : Christophe. Celui-ci avait fait des allusions quant à une possible mise en ménage et Alexandre, comme à son habitude, était désormais dans une phase de grands questionnements et d'angoisse intense. Esmée avait toujours pensé que son angoisse à s'investir avait un rapport avec les relations catastrophiques qu'il avait entretenu avec sa mère lors de son adolescence, celle-ci l'abandonnant volontiers pour se détendre avec ses nombreux et nombreuses conquêtes sans jamais donner de date de retour. Depuis, il n'avait été capable de nouer de relation à long terme qu'avec son amie, Esmée.

Ils se connaissaient depuis l'école secondaire et avaient passé une bonne partie de leur phase « rock'n'roll » ensemble; celle dont on cache les photos pour ne pas mourir de honte.

Cet épisode se calma après la remise des diplômes, Esmée obtint la psychiatrie, Alexandre la radiologie et Christophe et son ami avaient emménagé entre temps.

Ce souvenir était gravé à jamais dans la mémoire de la femme car, sans le savoir, c'était la dernière fois qu’Alexandre et elle avaient été réunis. Il avait disparu quelques temps après la proclamation.

Des battues avaient été organisées pour le retrouver mais étant un adulte et malgré le caractère inhabituel de sa disparition, les enquêteurs en avaient conclu à un nouveau départ, une nouvelle vie. Cet événement avait complètement bouleversé le quotidien de la jeune femme. Depuis lors, elle avait décidé de considérer chaque jour comme son potentiel dernier et d'assumer entièrement son côté extravaguant, de peur des regrets.

Elle ne pût jamais se résoudre à accepter la conclusion des enquêteurs. Comme si Alexandre avait pu disparaître sans laisser de mot, à elle, celle à qui il confiait toute ses pensées et ses angoisses les plus intimes depuis plus de dix longues années d'amitié. Elle avait ainsi perdu confiance en les Autorités, qu'elles soient politiques ou judiciaires et même en les Forces de l'ordre qui n'avaient pas compris l'importance de rechercher son ami bien qu'elle avait intégré le fait qu'un adulte puisse décider de partir au loin sans prévenir personne.

Seulement voilà, un adulte aurait pu le faire, oui, mais pas lui. Pas Alexandre, pas comme ça. Elle revoyait le chef de brigade lui parler comme si elle était une attardée ou une hystérique, lui disant qu'elle devait comprendre.

Comme si lui comprenait ou même essayait de comprendre la peine et la souffrance qu'elle ressentait ou que la famille d’Alexandre ou Christophe pouvaient ressentir. Comme si comprendre allait le ramener.

Elle ruminait encore cette histoire dans son sommeil avant de se réveiller ce matin-là.

Ça faisait deux ans qu'il avait disparu et pourtant elle revivait encore souvent ces événements en rêves, ou plutôt en cauchemars.

Elle s'éveilla avec difficultés, demain elle devrait reprendre le travail après quinze jours à errer dans son appartement entre tasses de thé et écritures nocturnes dans son cahier aux dessins de mandalas. Au dessus de son lit était étalée une carte ternie du monde piquée aux endroits qu'elle avait déjà visités par des punaises roses et violettes. Malgré ces pensées récurrentes, elle avait beaucoup changé en deux années, ses cheveux étaient teints d'un noir de jais qu'elle agrémentait chaque jour d'une coiffure différente. Ses divagations vestimentaires l'aidaient à goûter la vie et à faire de chaque jour une expérience unique et dont tous ses sens pouvaient se ravir.

Elle manquait de renverser le reste de sa tasse restée sur la table de nuit en se débarrassant de son drap et la rattrapa de justesse avant qu'elle ne tâche les dizaines de feuilles éparpillées à la sortie du lit. Elle avait écrit des petites histoires toute la nuit et s'était effondrée de sommeil au beau milieu d'une pause imaginative, emmitouflée sous sa couette de son lit deux personnes qu'elle ne partageait pourtant pas.

Elle avait bien eu quelques colocataires au fil des années après avoir quitté sa famille adoptive mais dès qu'elle avait décroché son stage de formation et le salaire qui allait avec, elle avait pris la décision de vivre dans son propre chez elle, disant ainsi au revoir aux soirées pizzas et au tableau de tâches partagées qui ne lui manquaient absolument pas. Elle était plutôt du genre casanière derrière ses épaisses lunettes, elle adorait passer ses soirées devant un programme télévisuel quelconque et écouté à moitié, utilisant l'autre moitié de son attention pour écrire ou lire. Après tout, les journées qu'elle vivait à l'hôpital méritaient bien des soirées tranquilles sans la moindre source de discussions stériles aux alentours.

Elle ramassa les feuilles à terre et les remis dans l'ordre avant d'aller vérifier ses emails et son répondeur. Elle devait passer une partie de l'après-midi avec son amie, Esther, avant de préparer quelques documents pour la reprise du travail, le lendemain.

Elle avait connu Esther au cours de sa première année de spécialisation, elle travaillait dans un autre service que le sien mais elles s'étaient liées d'une profonde amitié quasiment instantanément. Esther était de ces femmes déterminées, qui semblaient avoir un avenir tout tracé, prédéterminées à accomplir de grandes choses. Elle avait toujours impressionné Esmée, qui se sentait parfois bien inférieure quand elle se tenait à ses côtés. Mais elle laissait ces sentiments d'égo de côté le plus souvent possible, bien qu'ils lui revenaient en pleine figure à l'occasion. Comme cette fois où Esther l'informa qu'on lui avait proposé une place de rédactrice occasionnelle dans un journal dédié aux médecins et aux avancées dans le monde médical ; les plus belles choses semblaient venir à elle sans qu'elle ait à les souhaiter ou les demander. Et bien qu'Esmée était contente pour son amie, elle ne pouvait empêcher une pointe de jalousie de montrer le bout de son nez lorsque sa confiance en elle-même frôlait les pâquerettes. Bien sûr, elle avait réalisé quelques choses au cours de sa vie dont elle pouvait être fière mais Esther avait ces capacités intrinsèques qui font de quelqu'un une personne inoubliable, et elle devait admettre que ceci avait parfois le don de l'agacer.

Elle s'attabla avec son déjeuner à la table de la salle à manger. Elle avait trouvé celle-ci en chinant, comme la grande fan de brocante qu'elle était. Elle avait pour habitude de se rendre une fois par an avec Esther à un event de vente de seconde main organisé dans le nord de la France, cette braderie était ultra connue et il s'agissait pour elle d'un réel moment de bonheur.

Elle entamait son yaourt aux fruits lorsque son téléphone sonna, c'était évidemment Esther.

- Salut Chérie, tu es prête pour notre escapade de cet aprèm? entama Esther d'un ton tellement joyeux qu'on pouvait se demander s'il s'agissait ou non d'une blague.

- Crie pas trop fort, je viens de me réveiller, répondit Esmée.

- Tu n'es pas sérieuse, on doit se retrouver dans à peine une heure. Il fallait que je te prévienne que je serai avec Daniel. J'ai pas réussi à m'en débarrasser hier soir comme prévu.

- Donc tu es toujours en couple.

- Mais plus pour longtemps, je mets fin à ce manège le plus vite possible mais il me fait vraiment de la peine avec ses yeux amoureux alors que je ressens pas du tout la même chose. Ha je te jure les mecs. Bon, pas de retard, promis ?

- Promis, lui répondit Esmée sans grande conviction.

 

Il avait fallu trente minutes supplémentaires à l'horaire établi par Esther pour qu'Esmée la rejoigne. Celle-ci l'accueillit en lui faisant de gros yeux, Daniel sur ses talons arborant un sourire joyeux et effectivement, amoureux. Esmée ressentait un léger pincement au cœur à l'idée que son amie allait encore briser celui d'un homme. En effet, Esther était une très jolie jeune femme et avait un certain succès -encore- auprès des garçons et le don-ou la malchance- de ne jamais tomber amoureuse, ce qui finissait toujours par une séparation au goût amer pour les pauvres transis qui croisaient son chemin.

Ils entamaient leurs cocktails et discutaient de sujets légers toute l'après midi jusqu'à ce que Daniel se décide à laisser les deux jeunes femmes seules.

 

- J'ai cru qu'il allait jamais se casser ; amen, merci Seigneur.

- Depuis quand tu es croyante, toi ? risqua Esmée.

- Depuis toujours, n'as tu jamais remarqué que j'étais une réelle sainte ?

Les deux femmes éclatèrent de rire.

- Tu retournes à l'hôpital demain, c'est ça ?

- M'en parle pas, j'en suis déjà malade. Esmée tourna sa paille verte en jouant avec les glaçons contenant des feuilles de menthe au fond de son verre. C'est pas ça, j'aime bien m'occuper de mes patients et je vais revoir Daphnée. Mais je déteste Lidan et j'ai vraiment pas envie de le voir.

- Tu m'étonnes, ce type m'a toujours foutu les jetons. Il était venu donner un séminaires au troisième une fois, j'ai cru qu'il allait sortir une arme de son attaché case quand l'un des internes a sorti son portable.

- Sérieusement? demanda Esmée, en se doutant par ailleurs de la réponse.

- Oui, sa veine tambourinait contre sa tempe tellement il était énervé. Pourtant, tout le monde sort son portable au moins une fois lors des séminaires. Mais cet homme a vraiment...

- Un ego surdimensionné, termina Esmée.

- Exactement ce que j'allais dire, confirma Esther.

 

Le silence retombait entre les deux jeunes femmes, Esther voulait aborder le sujet sensible de l'anniversaire de la disparition d'Alexandre, comme elle faisait chaque année, mais elle savait que son amie était particulièrement tendue à l'idée d'en parler. L'année précédente, Esmée avait littéralement pété un plomb et elle ne souhaitait pas que cette scène se reproduise en public, surtout que la terrasse à laquelle elles étaient attablées était bondée.

 

Finalement, Esther et Esmée en parlèrent du bout des lèvres mais Esther n'insista pas quand elle la vit tapoter du pieds sous la table transparente. Elles se quittèrent dans la soirée et Esmée rentra chez elle directement, prépara ses affaires pour le lendemain avant de se coucher.

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